Un dos est là sous les mains du praticien. Ce dos, le praticien ne le connait pas et pourtant, il lui parle. Aux mains qui le touchent, l’écoutent et l’apprivoisent, il raconte « sa vie de dos ». Il a tant à dire ! Là où il s’est tendu pour résister, là où il a renoncé, les compromis qu’il a dû faire.
Carole vient pour sa première séance : elle a mal entre les omoplates depuis plusieurs mois déjà, « ce qui l’empêche de bien respirer » et, malgré différents traitements médicaux, sa douleur revient régulièrement. « Que vivez-vous dans votre vie en ce moment ? Une déception sentimentale, répond-elle, la relation avait bien commencé mais c’est comme si une partie de moi avait peur de s’engager ».
Cela aurait pu être Pierre qui ne s’entend pas avec ses collègues de travail et souffre de l’estomac, Nathalie et ses raideurs dans la nuque qui se demande avec la cinquantaine ce qu’elle va faire de sa vie, Elisabeth avec sa sensation d’étouffer et sa solitude ou encore Georges qui a tant de mal à dormir depuis son accident.
Plus qu’une technique de soins ou de détente, la Relation d’Aide par le Toucher associe dans une approche globale le corps et la parole. Plutôt que d’apporter une solution à un problème, elle se propose d’aider la personne dans le corps et par le corps, à transformer son état d’être en entrant en contact avec le vécu intérieur et les implications de sa difficulté. Cette démarche implique :
• l’intention du praticien d’aider la personne dans sa vie et pas seulement de soulager le corps
• l’investissement de la personne dans l’exploration de son ressenti
• la mise en œuvre d’un toucher qui mo-bilise des vécus intérieurs
• l’élucidation et la réintégration de ces vécus dans une dynamique de vie
• l’accent mis par le praticien sur la qualité de présence à soi et à l’autre
Nos difficultés de vie se retrouvent dans les tensions musculaires, les troubles organiques et les déséquilibres énergétiques du corps. Elles sont là avec leur charge émotionnelle, les affects, les enjeux, les mémoires et les croyances qui les sous-tendent.
Dans notre corps comme dans notre psychisme, nos attentes, nos espoirs et nos désirs s’entremêlent avec nos regrets, nos appréhensions et nos déceptions. Notre enfance y côtoie l’histoire de notre famille et interfère dans nos relations. Toucher un corps, c’est toucher une vie, c’est toucher une histoire qui a besoin d’être libérée et réintégrée, c’est remettre en mouvement une dynamique de vie. Comme un instrument de musique, notre corps fait écho à la vie, nos tensions corporelles traduisent des désaccords qui nous invitent à explorer notre ressenti pour nous remettre en harmonie avec nous-mêmes, avec le mouvement de la vie en nous.
Dans la Relation d’Aide par le Toucher, le toucher a pour but de « faire parler » le corps. Il est d’abord écoute et dialogue avant d’être intervention. La main du praticien va permettre à la personne d’entrer en contact avec les nœuds corporels et énergétiques pour les aider non pas simplement à se dénouer mais à délivrer leur « contenu » : sensations, charge émotionnelle, souvenirs du passé, vécu relationnel, images intérieures, Ce vécu spécifique amené par le toucher est celui que la personne a besoin d’explorer pour dépasser la problématique qu’elle rencontre. Le toucher apporte « du neuf » dans la perception souvent cérébrale et figée que la personne a de sa problématique et des solutions qu’elle devrait y trouver. La personne instaure ainsi un dialogue avec ses émotions, son histoire et son imaginaire pour retrouver une vision plus ouverte et plus créatrice de sa situation. Le toucher catalyse, oriente et soutient ce processus de libération et de réparation de vie.
Dans les premières séances Carole ressent comment sa situation de vie se manifeste dans son corps : raideur des genoux, crispation autour des yeux, congestion du ventre, prise de conscience des zones en relation avec sa douleur dorsale dont elle était inconsciente. La mobilisation de ces zones par le toucher l’amène à retrouver un sentiment de fierté et à prendre conscience de « n’être jamais assez bien pour sa mère » comme si elle attendait en permanence la critique. Dans les séances suivantes, soutenue par le travail corporel, Carole exprimera de la tristesse puis du ressentiment envers sa mère en la visualisant devant elle. Elle se libérera ainsi de son oppression respiratoire et de sa douleur de dos. La suite du travail permettra à Carole de se repositionner dans la relation avec sa mère et mettra à jour son désir d’enfant, un enjeu important pour ses futurs engagements relationnels.
Chaque séance se déroule schématiquement en 2 phases :
• une mobilisation par le toucher des tensions musculaires, organiques et énergétiques du corps
• une intégration du vécu « après-toucher », état-ressource qui va permettre à la personne de se re-situer. Le praticien développe son toucher et son accompagnement en fonction du mal-être corporel de départ mais aussi à partir de sa perception des tensions et leurs inter-relations. Il s’appuie sur l’analyse de la posture, de la respiration et de l’expression non-verbale de la personne. Selon le vécu de la personne, il propose un processus d’intégration bien précis : manifester une émotion, réintégrer un souvenir, reconnaître un besoin réprimé, clarifier un conflit relationnel, reconnaître une ressource personnelle.
Au fil des séances la personne traverse ce qu’elle a besoin de vivre pour dépasser sa problématique. Le soulagement durable des douleurs physiques et les changements dans la vie permettent d’évaluer l’aide apportée.
Tout se passe comme si la difficulté de vie renvoyait la personne à des situations inachevées dans lesquelles elle s’était « figée » sur les plans corporel et émotionnel.
La Relation d‘Aide par le Toucher permet d’ouvrir d’autres possibles, de re-mobiliser des capacités d’implication, de choix et d’action pour un mieux-être. Les processus physiologiques mis en œuvre dans ce figement et pour sa transformation sont bien décrits par Peter Levine[1].
Rencontrer notre souffrance, l’écouter, la suivre là où elle nous conduit, la traverser ; le cheminement proposé nous renvoie aux fondements de la condition humaine et lui donne son caractère transpersonnel. Chaque situation nous invite à trouver notre voie, à accomplir ce que nous sommes.
La Relation d’Aide par le Toucher se révèle particulièrement efficace pour les troubles psychocorporels chroniques ainsi que pour les personnes qui traversent une période critique de leur vie : deuil, séparation, pression au travail, problèmes familiaux, vécu d’échec. Elle se définit comme une thérapie psychocorporelle brève reconnue par la FF2S (Fédération Française de Somatothérapie et de Somato-psychothérapie).
Jean-Louis Abrassart
Thérapeute psychocorporel
[1] Peter Levine, Réveiller Le tigre, Guérir le traumatisme, Socrate éditions.