La notion de relation d’aide est souvent évoquée dans le domaine de l’accompagnement, mais elle demeure floue pour beaucoup. Pourtant, elle est cruciale pour le bien-être des personnes accompagnées. Dans cet article, nous allons explorer en profondeur ce concept, tout en cherchant à comprendre comment les professionnels de l’accompagnement peuvent apporter une aide efficace sans perturber leur propre bien-être.
La relation d’aide est un art subtil qui nécessite une compréhension précise, tout en nuance. Malheureusement, il est rare que l’on puisse distinguer clairement une aide véritable d’une simple conversation. Il en va de même pour la différence entre une véritable chaleur humaine et une situation d’affectivité excessive. La relation d’aide ne se résume pas à être gentil ou à répondre aux besoins pratiques des personnes accompagnées. Elle consiste avant tout à les reconnaître en tant qu’êtres humains.
La volonté d’aider et d’être empathique est sincère chez les professionnels de l’accompagnement, mais ils se retrouvent souvent démunis ou au bord de l’épuisement. Le manque de temps, l’urgence des objectifs à atteindre, l’importance des protocoles sont des obstacles majeurs. Mais la difficulté la plus importante, concernant la relation d’aide, ne se situe pas là. Elle réside plutôt dans une mauvaise compréhension des notions d’empathie et de distance professionnelle qui ni l’une ni l’autre leur permet d’adopter une posture d’écoute adéquate. De plus, les notions de psychopathologie enseignées dans le milieu de l’accompagnement n’offrent pas le bon éclairage pour guider les accompagnants à offrir une aide véritable.
Dans cet article, nous cherchons à clarifier certaines clés essentielles de la relation d’aide, en démontrant qu’elle exige une compréhension nuancée et des compétences spécifiques.
1. L’importance de l’intention initiale
Il est essentiel de comprendre que cette première pensée est le point de départ de toute intervention et qu’elle induit la qualité de l’aide qui en découle. Les compétences techniques et verbales que nous utilisons ne sont que des outils qui viennent en second plan. Si notre point de départ initial est erroné, aucune approche, même la plus sophistiquée, ne peut être véritablement efficace et peut parfois même être nuisible.
Trop souvent, face à une personne en souffrance psychologique, les professionnels de l’accompagnement qui désirent fournir une aide se concentrent sur la recherche de solutions ou des techniques à utiliser. Pourtant, tout se joue au niveau de l’intention première. Avant même de réfléchir à la manière d’aborder la situation, les premières pensées de l’accompagnant jouent un rôle crucial.
L’intention première détermine la direction dans laquelle se déroule l’accompagnement. Or, cette pensée initiale découle souvent de la manière dont nous percevons les symptômes de la personne qui l’accompagne, qu’il s’agisse de troubles psychologiques, émotionnels ou comportementaux.
2. Des symptômes « spécialement pour » et non « à cause de »
Les symptômes, tels que l’anxiété, la dépression, la violence, les phobies ou les dépendances, sont autant de manifestations complexes de la souffrance psychologique. Sur un plan psychologique, il est essentiel de réaliser que les symptômes ne se manifestent pas « à cause de » quelque chose, mais plutôt « spécialement pour » quelque chose.
Cette nuance est souvent difficile à saisir en raison de la confusion entre les causes psychologiques et physiologiques des symptômes. Si certains symptômes ont une origine physiologique évidente, les symptômes psychologiques se manifestent souvent pour une raison d’un autre ordre.
L’erreur commune réside dans la tendance à traiter tous les symptômes comme s’ils étaient présents « à cause de » quelque chose, en cherchant à éliminer la cause pour supprimer le symptôme plutôt que d’entendre et valider ce que celui-ci exprime. Pourtant, lorsque les symptômes ont une origine psychologique, ils surviennent « spécialement pour » quelque chose. Ils sont une manière pour la personne accompagnée d’exprimer des besoins, soit envers les autres (le besoin d’être entendu), soit envers lui-même (le besoin de se comprendre). Dans ce cas, chercher à éliminer le symptôme revient à nier ce que la personne accompagnée exprime à travers lui.
3. Accompagner les émergences et les reconnaître
Lorsqu’il s’agit d’aider une personne en souffrance psychologique, il faut privilégier l’accompagnement bienveillant plutôt que de voir cela comme un combat. Cela change fondamentalement notre approche des symptômes.
Comprendre que les symptômes se manifestent « spécialement pour » quelque chose est essentiel pour guider notre accompagnement. Les symptômes sont des signaux qui nous renvoient à la raison sous-jacente, c’est-à-dire à la source ou à l’origine de leur apparition.
Plutôt que de considérer les symptômes comme des ennemis à éliminer, nous devrions les percevoir comme des guides vers la compréhension. L’objectif n’est pas de supprimer les symptômes, mais de les reconnaître. La source de la souffrance réside dans un moment précis de la vie de l’accompagné (actuel, récent ou ancien) où quelque chose de significatif s’est produit. Cette compréhension nous amène à adopter une attitude qui ne s’oppose jamais au symptôme, ni à la raison qui le sous-tend… ce qui est beaucoup moins énergivore.
Dans le domaine de l’aide psychologique, chercher à identifier un problème pour y apporter une solution est souvent incorrect. Se précipiter pour résoudre un problème dès qu’une personne exprime un ressenti revient à nier ce ressenti. La recherche de solutions est contre-productive et peut perturber la personne accompagnée, qui se sentira incomprise dans son expérience.
L’aide ne consiste pas à fournir une solution, mais plutôt à faciliter la médiation. Un symptôme est généralement l’expression d’une fracture intérieure que la personne accompagnée manifeste dans l’espoir (inconscient) que quelqu’un l’aide à se réconcilier avec elle-même.
4. Suivre le symptôme pour se réconcilier
En réalité, les symptômes sont des expressions d’une part de la personne accompagnée, une part qui a été mise à l’écart ou non validée. Elle est comme un jaillissement d’une source intérieure qui cherche à être entendue. L’aide consiste à accompagner ce processus d’émergence, à reconnaître ce que la personne accompagnée tente de « mettre au monde » en elle, et à faciliter la réconciliation avec cette part d’elle-même oubliée.
En conclusion, l’aide psychologique repose sur une compréhension profonde des symptômes en tant qu’expressions significatives de la souffrance. Plutôt que de combattre, il s’agit d’accompagner, de reconnaître et de réconcilier, tout en travaillant en partenariat avec la personne accompagnée pour faciliter son propre cheminement vers la guérison. Cette approche, empreinte d’humilité et de bienveillance, peut transformer la manière dont nous abordons la souffrance psychologique.
Le symptôme résultant, non pas des événements antérieurs, mais d’une fracture intérieure entre la personne telle qu’elle est aujourd’hui et celle qu’elle était au moment de ces événements. Aider ne consiste donc pas à évoquer, ni à faire évoquer les circonstances passées et encore moins les interpréter. Il n’y a pas à « retourner vers les événements, il y a juste à entendre le ressenti de celui qui les a vécus. Ce ressenti est bien plus important que les circonstances dans lesquelles il est survenu. Par le symptôme, la personne associée réclame (inconsciemment) qu’on entende cette fracture et qu’on l’aide à se rapprocher de lui-même.
5. Confiance et reconnaissance plutôt que déni
Le projet essentiel, dans l’aide psychologique, réside dans la reconnaissance de la personne accompagnée et de son ressenti, tout en lui accordant inconditionnellement qu’il y a une raison pertinente à ce ressenti, même lorsque la raison derrière ce ressenti nous échappe, voire lorsqu’elle-même n’en a pas encore pris conscience.
La confiance est un point fondamental pour aider. Lorsqu’elle est mutuelle, elle conduit naturellement à l’absence de déni. C’est le fondement d’une relation de soutien authentique. Malheureusement, il arrive trop souvent que l’aidant, croyant aider, n’ait en fait qu’une attitude de déni du ressenti de la personne accompagnée… augmentant alors la douleur qu’il croit soulager !
Il est courant d’essayer de ramener quelqu’un à la raison, en cherchant à le rallier à notre point de vue. Or, il faut comprendre que ramener l’autre à la raison, ce n’est certainement pas le ramener à notre propre raison, mais plutôt le rapprocher de sa raison à lui, sa raison profonde. C’est en la validant, au contraire, que la personne accompagnée peut ressentir un apaisement.
6. Ni distance, ni empathie
Les accompagnants sont souvent confrontés à une contradiction : ils sont encouragés à être chaleureux et empathiques d’un côté, tout en maintenant une distance professionnelle de l’autre.
L’empathie, définie par Carl Rogers comme « écouter l’autre avec soin afin de pouvoir se mettre à sa place, comme si on était lui, tout en restant soi-même », est souvent mal comprise. Se mettre à la place de l’autre peut en réalité éloigner de la véritable compréhension de son vécu, générant de l’affectivité plutôt que de la chaleur humaine.
Pourquoi devrions-nous nous imaginer à la place de l’autre pour accéder à son ressenti ? En faisant cela, nous risquons de ne contacter que notre propre imagination, même si nous l’avons écouté attentivement
Une fois que l’aidant a compris qu’il ne doit pas se mettre à la place de la personne qu’il accompagne, il est essentiel qu’il intègre également le concept de ne pas rester distant. Souvent, les notions de « distinct » et de « distant » sont confondues, mais il est pratiquement impossible d’offrir une aide efficace en maintenant une certaine distance psychologique.
Le concept de « bonne distance » entretient une mauvaise attitude. En réalité, la « bonne distance » c’est l’absence totale de distance psychologique. Se sentir proche de l’accompagné, attentif et ouvert, tout en évitant de se mettre à sa place, permet de véritablement de lui offrir une aide.
L’idée d’être proche peut susciter la crainte d’augmenter sa propre vulnérabilité et affectivité. Cependant, il est crucial de comprendre que la vulnérabilité ne découle pas de l’absence de distance, mais plutôt du fait de se mettre à la place de celui qu’on accompagne. La vulnérabilité peut également découler des transferts et projections de celui qui accompagne.
Être distinct sans être distant permet d’offrir de la chaleur humaine sans succomber à l’affectivité. La chaleur humaine se manifeste lorsque l’on agit pour l’autre et uniquement pour lui, dans le respect de soi. C’est une offre que l’autre peut accepter ou refuser librement à tout moment. Cela procure beaucoup de sécurité et de confort tant pour la personne aidée que pour l’aidant.
En revanche, l’affectivité se manifeste lorsque l’on agit apparemment pour l’autre, mais en réalité pour soi-même, afin de combler une fragilité personnelle ou un inconfort. Dans de tels cas, il devient difficile d’accepter un refus de l’aide sans le prendre comme une attaque personnelle. Cela rend l’aidant vulnérable et étouffe la personne aidée. Bien évidemment, l’absence d’affectivité ne signifie pas d’être froid.
7. Non-Vouloir, Non-Savoir et Confiance
Il est essentiel de comprendre qu’il ne faut considérer aucun pouvoir, que ce soit pour le bien de la personne accompagnante, contre ses symptômes, contre la cause de ses symptômes ou contre ses « résistances ». Il ne faut pas non plus l’inciter à exercer un pouvoir sur lui-même. Les injonctions du type « Il ne faut pas vous laisser aller », « Il faut vous ressaisir » ou « Ne vous laissez pas faire par untel » sont inappropriées.
L’aide consiste à considérer l’accompagné avec beaucoup de respect, à lui accorder une grande liberté et à avoir confiance en lui (être distinct sans être distant, chaleureux mais sans affectivité). Il s’agit de l’accompagner à percevoir ce qui se passe en lui plutôt que de combattre. Le symptôme étant l’indicateur d’une émergence qui peine à se manifester. L’accompagnant aide l’accompagné à formuler, reconnaître et donner sa juste place à cette émergence. Souvent, il s’agira d’un moment de sa vie qu’il a mis de côté en raison de la douleur associée, mais qui réclame aujourd’hui son attention et sa reconnaissance.
L’aidant ne doit jamais forcer ni imposer quoi que ce soit. Il s’agit d’adopter une attitude de non-vouloir qui ne signifie pas que l’on ne doit rien faire. La personne accompagnée dit généralement ce qui est juste pour elle, même si elle n’en est pas toujours consciente. Elle a besoin d’aide pour y accéder. L’aidant n’est pas interventionniste, mais il peut poser des questions pour l’aider à explorer ses propres ressentis.
Il faut considérer que la personne accompagnée est la seule à pouvoir accéder à ce qu’il y a en elle, car elle est la seule à le connaître, même lorsque c’est inconscient. Cependant, pour y accéder, elle a besoin des questions et de la présence de l’aidant, qui, lui, ne sait rien. Le fait que l’aidant accepte de ne jamais savoir à sa place est ce qui permet de bien la guider vers sa propre compréhension. C’est le principe fondamental du guidage non directif.
Le savoir concernant la personne accompagnée réside en elle. L’aidant l’accompagne vers elle-même, en ayant une confiance absolue en ce qui émerge d’elle. Ce qui émerge, ce ne sont pas les circonstances antérieures malheureuses qu’elle a vécues, mais la personne qu’elle était dans ces circonstances. C’est elle qui mérite d’être considérée et reconnue, et non les événements.
Le guidage non direct permet d’accompagner dans le respect, en laissant toute liberté à celui qui est rencontré. Il permet d’accéder rapidement à ce qui est important, au rythme juste pour l’accompagné… sans aller plus vite que lui. Cependant, le guidage non directif n’a de sens que si l’intention initiale est bien définie, comme décrit au début de cet article.